L'aurore s'allume
I
L’aurore s’allume ;
L’ombre épaisse fuit ;
Le rêve et la brume
Vont où va la nuit ;
Paupières et roses
S’ouvrent demi-closes ;
Du réveil des choses
On entend le bruit.
Tout chante et murmure,
Tout parle à la fois,
Fumée et verdure,
Les nids et les toits ;
Le vent parle aux chênes,
L’eau parle aux fontaines ;
Toutes les haleines
Deviennent des voix !
Tout reprend son âme,
L’enfant son hochet,
Le foyer sa flamme,
Le luth son archet ;
Folie ou démence,
Dans le monde immense,
Chacun. recommence
Ce qu’il ébauchait.
Qu’on pense ou qu’on aime,
Sans cesse agité,
Vers un but suprême,
Tout vole emporté ;
L’esquif cherche un môle,
L’abeille un vieux saule,
La boussole un pôle,
Moi la vérité !
II
Vérité profonde !
Granit éprouvé
Qu’au fond de toute onde
Mon ancre a trouvé !
De ce monde sombre,
Où passent dans l’ombre
Des songes sans nombre,
Plafond et pavé !
Vérité, beau fleuve
Que rien ne tarit !
Source où tout s’abreuve,
Tige où tout fleurit !
Lampe que Dieu pose
Près de toute cause !
Clarté que la chose
Envoie à l’esprit !
Arbre à rude écorce,
Chêne au vaste front,
Que selon sa force
L’homme ploie ou rompt,
D’où l’ombre s’épanche ;
Où chacun se penche,
L’un sur une branche,
L’autre sur le tronc !
Mont d’où tout ruisselle !
Gouffre où tout s’en va !
Sublime étincelle
Que fait Jéhova !
Rayon qu’on blasphème !
Oeil calme et suprême
Qu’au front de Dieu même
L’homme un jour creva !
III
Ô Terre ! ô merveilles
Dont l’éclat joyeux
Emplit nos oreilles,
Eblouit nos yeux !
Bords où meurt la vague,
Bois qu’un souffle élague,
De l’horizon vague
Plis mystérieux !
Azur dont se voile
L’eau du gouffre amer,
Quand, laissant ma voile
Fuir au gré de l’air,
Penché sur la lame,
J’écoute avec l’âme
Cet épithalame
Que chante la mer !
Azur non moins tendre
Du ciel qui sourit
Quand, tâchant d’entendre
Je cherche, ô nature,
Ce que dit l’esprit,
La parole obscure
Que le vent murmure,
Que l’étoile écrit !
Création pure !
Etre universel !
Océan, ceinture
De tout sous le ciel !
Astres que fait naître
Le souffle du maître,
Fleurs où Dieu peut-être
Cueille quelque miel !
Ô champs ! ô feuillages !
Monde fraternel !
Clocher des villages
Humble et solennel !
Mont qui portes l’aire !
Aube fraîche et claire,
Sourire éphémère
De l’astre éternel !
N’êtes-vous qu’un livre,
Sans fin ni milieu,
Où chacun pour vivre
Cherche à lire un peu !
Phrase si profonde
Qu’en vain on la sonde !
L’oeil y voit un monde,
L’âme y trouve un Dieu !
Beau livre qu’achèvent
Les coeurs ingénus ;
Où les penseurs rêvent
Des sens inconnus ;
Où ceux que Dieu charge
D’un front vaste et large
Ecrivent en marge :
Nous sommes venus !
Saint livre où la voile
Qui flotte en tous lieux,
Saint livre où l’étoile
Qui rayonne aux yeux,
Ne trace, ô mystère !
Qu’un nom solitaire,
Qu’un nom sur la terre,
Qu’un nom dans les cieux !
Livre salutaire
Où le cour s’emplit !
Où tout sage austère
Travaille et pâlit !
Dont le sens rebelle
Parfois se révèle !
Pythagore épèle
Et Moïse lit !
The Dawn is Alight
I
The dawn is alight;
Thick shadows desist;
The dream and the mist
Are fled with the night.
Each eyelid and rose
Half open, half close:
All’s waking around,
We hark to the sound.
The song and the murmur
As everything chatters,
The smoke and the verdure,
Nests, rooftops: all noises!
The oaks hear the breeze,
The springs hear the waters,
And each thing that breathes
Will turn into voices.
The spirit returns:
Loud toy to the child,
The hearth again burns,
The bow’s on the viol.
The world so immense,
Wild incontinence,
All things recommence
Their deeds of erstwhile.
By thought or by love
We ceaselessly move
Towards a great goal,
And soar up above.
The skiff seeks a mole,
The bee a safe hole,
The compass a pole;
The Truth is my love!
II
The truth, the profound,
Well-tried granite ground
My anchor has found
Beneath any wave;
This world sad and sombre
Where dreams beyond number
In shadows abound,
High vault and low pave!
Truth, clear watercourse
That never is sullied!
The life-giving source,
The stalk ever florid!
Lamp God will dispose
To light every cause,
The radiance that goes
From matter to spirit!
The tree of rough bark,
The oak of broad brow,
We bend it or break,
As strength may allow.
In that spreading shade
We lean and have laid
Ourselves on the trunk,
Or lulled on the bough!
High torrents that teem!
Devouring abysses!
The sparkle sublime
Jehovah devises!
The ray we blaspheme!
Eye calm and supreme,
By man scarred and scored
On the brow of the Lord!
III
O wonders of earth
Whose joyful surprise
Resounds in our ears,
Bedazzles our eyes!
Shores where the wave dies,
Woods pruned by the breeze,
Mysterious plies
Of vague distances!
Azure are the veils
Of the sea-chasm’s brine:
I set free my veils,
Winds’ toy, they are gone.
On a billow I lean
And hear with my spirit
A wedding-refrain,
The sea sings, I hear it!
Azure no less tender
Of genial sky,
When, keen to discover,
O Nature! I try:
The spirit may utter
The watchword obscure,
The word the winds whisper,
That’s writ by the star!
Unsullied creation!
Totality, living!
Great girdle, the ocean
Of all below heaven!
The stars, generation
Of God the Lord’s breathing,
The flowers, occasion
Of God’s honey-reaping!
O foliage, fields,
O brotherly world!
O village church-bells,
Sincere and unspoiled!
The eyrie high-hurled!
Clear daybreak that chills!
The star of brief smiles
That never grows old!
Mere book with no end,
Maybe, and no middle,
For life we intend
To read you, a little!
A phrase so profound,
Depth no-one can sound,
World seen by the pupil,
God by the soul found!
Fine book that is wrought
By innocent hearts,
Where pondering starts
New vision, new thought:
Where those whom God gave
A great and broad brow
In the margin engrave:
‘We came, here and now!’
Blest book where the veil
That everywhere flies,
Blest book where the star
That shines in our eyes,
Finds, wondrous to tell,
One name and no more,
One name on earth’s ball,
One name in the skies!
The life-giving page
Where all hearts are feeding!
Where each austere sage
Toils nobly, and pales!
Whose meaning rebels
And, timely, reveals!
Pythagoras spells,
And Moses is reading!