Dante

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Dante

Auguste Barbier (1805-82)

Dante, vieux Gibelin! quand je vois en passant Le plâtre blanc et mat de ce masque puissant Que l’art nous a laissé de ta divine tête, Je ne puis m’empêcher de frémir, ô poète! Tant la main du génie et celle de malheur Ont imprimé sur toi le sceau de la douleur. Sous l’étroit chaperon qui presse tes oreilles, Est-ce le pli des ans ou le sillon des veilles Qui traverse ton front si laborieusement? Est-ce au champ de l’exil, dans l’avilissement, Que ta bouche s’est close à force de maudire? Ta dernière pensée est-elle en ce sourire Que la mort sur ta lèvre a cloué de ses mains? Est-ce un ris de pitié sur les pauvres humains? Ah! le mépris va bien à la bouche de Dante, Car il reçut le jour dans une ville ardente, Et le pavé natal fut un champ de graviers Qui déchira longtemps la plante de ses pieds. Dante vit, comme nous, les passions humaines Rouler autour de lui leurs fortunes soudaines; Il vit les citoyens s’égorger en plein jour, Les partis écrasés renaître tour à tour; Il vit sur les bûchers s’allumer les victimes; Il vit pendant trente ans passer des flots de crimes, Et le mot de patrie à tous les vents jeté Sans profit pour le peuple et pour la liberté. Ô Dante Alighieri, poète de Florence, Je comprends aujourd’hui ta mortelle souffrance; Amant de Béatrice, à l’exil condamné, Je comprends ton œil cave et ton front décharné, Le dégoût qui te prit des choses de ce monde, Ce mal de cœur sans fin, cette haine profonde Qui, te faisant atroce en te fouettant l’humeur, Inondèrent de bile et ta plume et ton cœur. Aussi, d’après les mœurs de ta ville natale, Artiste, tu peignis une toile fatale, Et tu fis le tableau de sa perversité Avec tant d’énergie et tant de vérité, Que les petits enfants qui le jour, dans Ravenne, Te voyaient traverser quelque place lointaine, Disaient en contemplant ton front livide et vert: ‘Voilà, voilà celui qui revient de l’enfer!’
Dante
Dante, old Ghibelline! Your godlike head, Poet! - the mighty mask, which art bequeathed: When I pass by, and see the matt white plaster, I shudder. Thus did genius and disaster Stamp sorrow’s seal upon you. Round your ears, A close-drawn hood... Is it the groove of years, That furrow carved with toil across your brow? Or was it wakeful nights that drove the plough? Was it in Exile’s base degrading field Your mouth by many a bitter curse was sealed? And is that smile, lodged in the place of breath, Your final thought, nailed on by hands of death? For poor humanity, a sneer of pity! How well contempt befits the mouth of Dante, Who first saw daylight in a burning city, On no paved path but grit and gravel born, By which for untold years his feet were torn. Like us, he saw men’s passions round him roll Their hectic fortunes; parties rose and fell, Crushed and reborn; victims burnt merrily; Citizens’ throats were slit, for all to see; For thirty years the crimes went streaming by, The name of patriot to the winds hurled high, No good to common weal, nor liberty. O Dante Alighieri, Florentine, I understand today your mortal pain; Lover of Beatrice, exiled, I know why The haggard countenance, the hollow eye, Disgust for worldly things, the ailing heart Beyond all hope of cure, deep-seated hate That whipped your temper up and made you cruel, Flooding your spirit, and your pen, with bile. Thus by the customs of your native town You painted a grim canvas, setting down, Depicting Florence’s perversity With so much truth and so much energy That children in Ravenna, watching where You made your way across a distant square, Looked on your livid pallor, and could tell: “There is the man who just came back from Hell.”

Translation: Copyright © Timothy Adès

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Borgia

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Borgia

Victor Hugo (1802-85)

Je me penchai. J’étais dans le lieu ténébreux; Là gisent les fléaux avec la nuit sur eux; Et je criai: — Tibère! — Eh bien? me dit cet homme. — Tiens–toi là. — Soit. — Néron! — L’autre monstre de Rome Dit: — Qui donc m’ose ainsi parler? — Bien. Tiens–toi là. Je dis: — Sennachérib! Tamerlan! Attila! — Qu’est–ce donc que tu veux? répondirent trois gueules. — Restez là. Plus un mot. Silence. Soyez seules. Je me tournai: — Nemrod! — Quoi? — Tais–toi. — Je repris: — Cyrus! Rhamsès! Cambyse! Amilcar! Phalaris! — Que veut–on? — Restez là. — Puis, passant aux modernes, Je comparai les bruits de toutes les cavernes, Les antres aux palais et les trônes aux bois, Le grondement du tigre au cri d’Innocent trois, Nuit sinistre où pas un des coupables n’échappe, Ni sous la pourpre Othon, ni Gerbert sous la chape. Pensif, je m’assurai qu’ils étaient bien là tous, Et je leur dis: — Quel est le pire d’entre vous? Alors, du fond du gouffre, ombre patibulaire Où le nid menacé par l’immense colère Autrefois se blottit et se réfugia, Satan cria: — C’est moi! — Crois–tu? dit Borgia.
Borgia
I leaned and I looked in the shadowy zone Where lurk in dark night all the tyrants, the Scourges. I called out ‘Tiberius!’ and ‘Well?’ he replied: ‘Just stay there.’ ‘Agreed.’ ‘Nero!’ Rome’s other villain: ‘Who dares to accost me?’ Said I: ‘Good. Stay put.’ ‘Sennacherib! Tamburlaine! Attila!’ ‘What Do you want?’ said three maws. ‘Stay there. Quiet! On your own: Not a word.’ I turned. ‘Nimrod!’ ‘What?’ ‘Silence!’ And then ‘Rhamses! Hamilcar! Phalaris! Cyrus! Cambyses!’ ‘What is it?’ ‘Stay there.’ So I passed to the moderns, Comparing the noises from so many caverns, The throne to the forest, the cave to the palace, Pope Innocent screaming, the tiger who bellows: Evil night which the guilty can never escape, Not Otto in purple, not Gerbert in cope. All were present, correct: I checked carefully first: And I asked them ‘Of all of you, which is the worst?’ From deep in the gulf, from the gloom of the gallows, Where once long ago like a fledgling in danger He cowered and fled from the infinite anger, Satan roared ‘It is I!’… ‘Do you think so?’ said Borgia.

Translation: Copyright © Timothy Adès

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St Helena

Ste-Hélène

Victor Hugo (1802-85)

Third poem in L'Expiation, following Moscow and Waterloo. All published by The Napoleonic Society of America, and in Translation and Literature (Edinburgh U.P.)
Ste-Hélène
Il croula. Dieu changea la chaîne de l’Europe. Il est, au fond des mers que la brume enveloppe, Un roc hideux, débris des antiques volcans. Le Destin prit des clous, un marteau, des carcans, Saisit, pâle et vivant, ce voleur du tonnerre, Et, joyeux, s’en alla sur le pic centenaire Le clouer, excitant par son rire moqueur Le vautour Angleterre à lui ronger le cœur. Évanouissement d’une splendeur immense ! Du soleil qui se lève à la nuit qui commence, Toujours l’isolement, l’abandon, la prison, Un soldat rouge au seuil, la mer à l’horizon, Des rochers nus, des bois affreux, l’ennui, l’espace, Des voiles s’enfuyant comme l’espoir qui passe, Toujours le bruit des flots, toujours le bruit des vents ! Adieu, tente de pourpre aux panaches mouvants, Adieu, le cheval blanc que César éperonne ! Plus de tambours battant aux champs, plus de couronne, Plus de rois prosternés dans l’ombre avec terreur, Plus de manteau traînant sur eux, plus d’empereur ! Napoléon était retombé Bonaparte. Comme un romain blessé par la flèche du Parthe, Saignant, morne, il songeait à Moscou qui brûla. Un caporal anglais lui disait : halte-là ! Son fils aux mains des rois ! sa femme aux bras d’un autre ! Plus vil que le pourceau qui dans l’égout se vautre, Son sénat qui l’avait adoré l’insultait. Au bord des mers, à l’heure où la bise se tait, Sur les escarpements croulant en noirs décombres, Il marchait, seul, rêveur, captif des vagues sombres. Sur les monts, sur les flots, sur les cieux, triste et fier, L’œil encore ébloui des batailles d’hier, Il laissait sa pensée errer à l’aventure. Grandeur, gloire, ô néant ! calme de la nature ! Les aigles qui passaient ne le connaissaient pas. Les rois, ses guichetiers, avaient pris un compas Et l’avaient enfermé dans un cercle inflexible. Il expirait. La mort de plus en plus visible Se levait dans sa nuit et croissait à ses yeux Comme le froid matin d’un jour mystérieux. Son âme palpitait, déjà presque échappée. Un jour enfin il mit sur son lit son épée, Et se coucha près d’elle, et dit : « C’est aujourd’hui » On jeta le manteau de Marengo sur lui. Ses batailles du Nil, du Danube, du Tibre, Se penchaient sur son front, il dit : « Me voici libre ! Je suis vainqueur ! je vois mes aigles accourir ! » Et, comme il retournait sa tête pour mourir, Il aperçut, un pied dans la maison déserte, Hudson Lowe guettant par la porte entrouverte. Alors, géant broyé sous le talon des rois, Il cria : « La mesure est comble cette fois ! Seigneur ! c’est maintenant fini ! Dieu que j’implore, Vous m’avez châtié ! » La voix dit : Pas encore !
St Helena
He fell; and God changed Europe's iron bands. Far in the fog-bound seas a vile rock stands, Belched up by old volcanoes. Destiny Took nails and clamps and neck-irons, gleefully, Seized him who stole the thunder, living, pale, And dragged him to the grizzled peak, to nail Him down, and with a mocking laugh to start The vulture England gnawing at his heart. * Immeasurable splendour, passed away! From earliest sunrise till the end of day Ever alone, abandoned, caged in prison; A redcoat near; beyond, the sea's horizon. Bare rocks, grim woods, depression, emptiness: Sails passing, fleeing into hopelessness. The sound of winds and waves for evermore! Farewell, white horse that Caesar spurs to war, Farewell the pounding drums, the stratagem, The purple tent, the plumes, the diadem! No quaking prostrate kings inferior; No robe trailed over them; no emperor. Napoleon was reduced to Bonaparte. He thought of Moscow burning, sick at heart As Roman bleeding from the Parthian bolt: An English corporal, to bid him Halt! Kings held his son; his wife was spoken for; Worse than a pig that wallows in a sewer, His senate cursed him, worshipping no more. When ocean winds fall still, he walked the shore On cliffs that crumbled in black heaps of stone, The dark waves' captive, dreaming and alone. As bygone battles still amazed his eye, With rueful pride on hill and sea and sky He cast his thoughts, to stray on high adventure. Grandeur and glory, void! the calm of nature! Eagles pass by, not knowing who he is. The kings, his jailers, took their compasses And closed him in a ring inflexible. He sickened. Death more and more visible Rose in the night and grew before his eyes, Like the cold breaking of a strange sunrise. His soul, that fluttered still, was almost fled. At last he laid his sword upon his bed, And took his place, and said `This is the day'. The greatcoat of Marengo on him lay. Nile, Danube, Tiber: battles on his brow Gathered. Said he: `I am unfettered now! I am victorious! Come, my eagles, fly!' And as he turned his head aside to die, Intruding in the empty house he saw Hudson Lowe watching through the half-closed door. The kings beneath their heel had trampled him! `Full measure!' cried the giant; `to the brim! Now it is finished! God whom I implore, Thy chastening's done!' The voice said, `There is More!'

Translation: Copyright © Timothy Adès

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The Women of Weinsberg

Die Weiber von Weinsberg

Adelbert von Chamisso (1781-1838)

Die Weiber von Weinsberg
Der erste Hohenstaufen, der König Konrad lag Mit Heeresmacht vor Winsperg seit manchem langen Tag. Der Welfe war geschlagen, noch wehrte sich das Nest, Die unverzagten Städter, die hielten es noch fest. Der Hunger kam, der Hunger! das ist ein scharfer Dorn! Nun suchten sie die Gnade, nun trafen sie den Zorn: „Ihr hab mir hier erschlagen. gar manchen Degen wert, Und öffnet ihr die Tore, so trifft euch doch das Schwert.“ Da sind die Weiber kommen: „Und muss es also sein, Gewährt uns freien Abzug, wir sind vom Blute rein. “Da hat sich vor den Armen des Helden Zorn gekühlt, Da hat ein sanft Erbarmen im Herzen er gefühlt. „Die Weiber mögen abziehn und jede habe frei, Was sie vermag zu tragen und ihr das Liebste sei; Lasst ziehn mit ihrer Bürde sie ungehindert fort, Das ist des Königs Meinung, das ist des Königs Wort.“ Und als der frühe Morgen im Osten kam gegraut, Da hat ein seltnes Schauspiel vom Lager man geschaut; Es öffnet leise, leise sich das bedrängte Tor, Es schwankt ein Zug von Weibern mit schwerem Schritt hervor. Tief beugt die Last sie nieder, die auf dem Nacken ruht, Sie tragen ihre Eh’herrn, das ist ihr liebstes Gut. „Halt an die argen Weiber!“, ruft drohend mancher Wicht; - Der Kanzler spricht bedeutsam: „Das war die Meinung nicht." Da hat, wie er’s vernommen, der fromme Herr gelacht: „Und war es nicht die Meinung, sie haben’s gut gemacht; Gesprochen ist gesprochen, das Königswort besteht, Und zwar von keinem Kanzler zerdeutelt und zerdreht.“ So war das Gold der Krone wohl rein und unentweiht. Die Sage schallt herüber aus halbvergessner Zeit. Im Jahr elfhundert vierzig, wie ich’s verzeichnet fand, Galt Königswort noch heilig im deutschen Vaterland.
The Women of Weinsberg
First of the Hohenstaufen, the bold King Conrad lay Encamped in force at Weinsberg for many a weary day. The Guelph he had defeated; this eyrie still gave fight; The burghers kept their courage, and held the fortress tight. Came hunger then, came hunger, that sharp and painful thorn; They came to him for mercy, and found his rage and scorn. ‘Ye’ve slain full many a gallant; expect your just reward; ‘Tis vain your gates to open; your portion is the sword’. Then came to him the women: ‘And if it must be so, Guiltless are we of slaughter; then let us freely go.’ And when he heard their pleading, the hero’s rage was quelled; Instead within his bosom a soft compassion swelled. ‘The women have safe conduct, and each may carry free Whatever she can shoulder that dear to her may be. Let them proceed unhindered, and bear away their load; So let it be, for such is our royal will and word!’ And as the early morning rose in the East so grey, Strange was the scene they witnessed, who in the siege-camp lay: From that beleaguered gateway that slowly opened wide, A swaying line of women came forth with heavy stride. The load their necks supported, it bent them to the ground: They bore away their husbands, the dearest thing they owned. ‘Arrest the caitiff women!’- harsh cries and threats were heard; ‘This never was intended!’ the chancellor averred. He smiled when he beheld it, the just and pious King; ‘Perhaps I never willed it, yet here’s a noble thing! A promise is a promise; the royal word holds good, By chancellors not ever misprised or misconstrued.’ And so the royal crown of gold was pure and undefiled: The year, eleven forty, by our chroniclers compiled. From half-forgotten ages still we hear the story ring: Sacred in German homeland was the promise of a King.

Translation: Copyright © Timothy Adès

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