Robert The Devil – I think of you Robert

ROBERT LE DIABLE

Louis Aragon (1897-1982)

ROBERT LE DIABLE
Tu portais dans ta voix comme un chant de Nerval Quand tu parlais du sang jeune homme singulier Scandant la cruauté de tes vers réguliers Le rire des bouchers t'escortait dans les Halles Tu avais en ces jours ces accents de gageure Que j'entends retentir à travers les années Poète de vingt ans d'avance assassiné Et que vengeaient déjà le blasphème et l'injure Je pense à toi Desnos qui partis de Compiègne Comme un soir en dormant tu nous en fis récit Accomplir jusqu'au bout ta propre prophétie Là-bas où le destin de notre siècle saigne Debout sous un porche avec un cornet de frites Te voilà par mauvais temps près de Saint-Merry Dévisageant le monde avec effronterie De ton regard pareil à celui d'Amphitrite Enorme et palpitant d'une pâle buée Et le sol à ton pied comme au sein nu l'écume Se couvre de mégots de crachats de légumes Dans les pas de la pluie et des prostituées Je pense à toi Desnos qui partis de Compiègne Comme un soir en dormant tu nous en fis récit Accomplir jusqu'au bout ta propre prophétie Là-bas où le destin de notre siècle saigne Et c'est encore toi sans fin qui te promènes Berger des longs désirs et des songes brisés Sous les arbres obscurs dans les Champs-Elysées Jusqu'à l'épuisement de la nuit ton domaine O la Gare de l'Est et le premier croissant Le café noir qu'on prend près du percolateur Les journaux frais les boulevards pleins de senteur Les bouches du métro qui captent les passants Je pense à toi Desnos qui partis de Compiègne Comme un soir en dormant tu nous en fis récit Accomplir jusqu'au bout ta propre prophétie Là-bas où le destin de notre siècle saigne La ville un peu partout garde de ton passage Une ombre de couleur à ses frontons salis Et quand le jour se lève au Sacré-Cœur pâli Quand sur le Panthéon comme un équarissage Le crépuscule met ses lambeaux écorchés Quand le vent hurle aux loups dessous le Pont-au-Change Quand le soleil au Bois roule avec les oranges Quand la lune s'assied de clocher en clocher Je pense à toi Desnos qui partis de Compiègne Comme un soir en dormant tu nous en fis récit Accomplir jusqu'au bout ta propre prophétie Là-bas où le destin de notre siècle saigne
Robert The Devil – I think of you Robert
Your voice was charged with something of Nerval You spoke of blood most singular young man Your cruel formal verse you made it scan Laughter of butchers flanked you in Les Halles You seemed already to be laying odds Across the years I hear the resonance Poetic tyro slaughtered in advance Avenged back then by sneers at men and gods You left Compiègne I think of you Robert Just as asleep one evening you had said So you fulfilled that prophecy you made Fate of our century lies bleeding there Stood in a doorway with a twist of fries St Merry overhung by thunderclouds Impertinently staring down the crowds You gazed like royal-blood Nereides Enormous throbbing with a pallid haze Ground at your foot like foam at breast of nude Thick with fag-ends and cabbage chewed and spewed Footfall of rain and all-too-ready lays You left Compiègne I think of you Robert Just as asleep one evening you had said So you fulfilled that prophecy you made Fate of our century lies bleeding there It’s you it still is you still strolling on Shepherd of long desires dead reveries The Champs-Elysées dim below the trees Until your own domain the night is gone O Gare de l’Est first croissant of the day Black coffee percolated freshly poured Crisp morning papers pungent boulevard The metro-mouths where figures drained away You left Compiègne I think of you Robert Just as asleep one evening you had said So you fulfilled that prophecy you made Fate of our century lies bleeding there Your passing haunts the city’s grimy brows With coloured shade The Sacré-Cœur is wan As knacker daybreak flays the Pantheon With shreds and tatters Later in the Bois The sun rolls oranges itself an orange The moon transfers her seat from tower to tower Striking the belfries as they strike the hour And the wind howls beneath the Pont-au -Change You left Compiègne I think of you Robert Just as asleep one evening you had said So you fulfilled that prophecy you made Fate of our century lies bleeding there

Translation: Copyright © Timothy Adès

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