A night the sea was heard, and not seen

Une Nuit Qu’On Entendait la Mer Sans la Voir

Victor Hugo (1802-85)

Une Nuit Qu’On Entendait la Mer Sans la Voir
Quels sont ces bruits sourds? Ecoutez vers l’onde Cette voix profonde Qui pleure toujours Et qui toujours gronde, Quoiqu’un son plus clair Parfois l’interrompe… — Le vent de la mer Souffle dans sa trompe. Comme il pleut ce soir! N’est–ce pas, mon hôte? Là–bas, à la côte, Le ciel est bien noir, La mer est bien haute! On dirait l’hiver; Parfois on s’y trompe… — Le vent de la mer Souffle dans sa trompe. Oh! marins perdus! Au loin, dans cette ombre Sur la nef qui sombre, Que de bras tendus Vers la terre sombre! Pas d’ancre de fer Que le flot ne rompe. — Le vent de la mer Souffle dans sa trompe. Nochers imprudents! Le vent dans la voile Déchire la toile Comme avec les dents! Là–haut pas d’étoile! L’un lutte avec l’air, L’autre est à la pompe. — Le vent de la mer Souffle dans sa trompe. C’est toi, c’est ton feu Que le nocher rêve, Quand le flot s’élève, Chandelier que Dieu Pose sur la grève, Phare au rouge éclair Que la brume estompe! — Le vent de la mer Souffle dans sa trompe. Victor Hugo, ‘Les Voix Intérieures’
A night the sea was heard, and not seen
What’s this rough sound? Hark, hark at the waves, this voice profound that endlessly grieves nor ceases to scold, and yet shall be drowned by one louder, at last: The sea–tempests wield their trumpet–blast. How it rains tonight! Does it not, my guest? All down the coast, the sky without light and the sea storm–tossed! ’Tis winter, we railed, yet we falsely guessed… The sea–tempests wield their trumpet–blast. O sailors lost! From the raft of doom in the distant gloom, what cries are cast to the shores that loom! Anchor–chains yield to the surging crest. The sea–tempests wield their trumpet–blast. O helmsmen, fools! The storm in your sails with furious tooth rips up your cloth! The stars are concealed! Jack pumps and bales, Jem looks to the mast… The sea–tempests wield their trumpet–blast. It is you, your blaze that the helmsman craves in the towering waves, you lamp on the strand that the Lord displays, red rescuing brand that is doused in mist! The sea–tempests wield their trumpet–blast.

Translation: Copyright © Timothy Adès

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I paid the fisherman

Je payai le pêcheur

Victor Hugo (1802-85)

Je payai le pêcheur
Je payai le pêcheur qui passa son chemin, Et je pris cette bête horrible dans ma main; C'était un être obscur comme l'onde en apporte, Qui, plus grand, serait hydre, et, plus petit, cloporte; Sans forme comme l'ombre, et, comme Dieu, sans nom. Il ouvrait une bouche affreuse, un noir moignon Sortait de son écaille; il tâchait de me mordre; Dieu, dans l'immensité formidable de l'ordre, Donne une place sombre à ces spectres hideux; Il tâchait de me mordre, et nous luttions tous deux; Ses dents cherchaient mes doigts qu'effrayait leur approche; L'homme qui me l'avait vendu tourna la roche; Comme il disparaissait, le crabe me mordit; Je lui dis: «Vis! et sois béni, pauvre maudit!» Et je le rejetai dans la vague profonde, Afin qu'il allât dire à l'océan qui gronde, Et qui sert au soleil de vase baptismal, Que l'homme rend le bien au monstre pour le mal.
I paid the fisherman
I paid the fisherman as he passed by, took in my hand this vile monstrosity, a creature murky as its watery haunt, an outsize weevil, or a hydra’s runt; shapeless as shade, and nameless as the Lord. A maw that gaped, and a black stump that bored out through the scales... It snapped at me. God grants a place in his colossal ordinance to these revolting spooks, a world obscured. It snapped at me... We came to blows, we sparred, my fingers fearful of the teeth’s attack: the vendor slipped away behind a rock, vanishing, as it bit me. ‘Go!’ I cried: ‘Bless you, damned creature!’ - threw it on the tide, into the depths, to tell the great curmudgeon, the sun’s baptismal font, the boundless ocean: Man does to Beast a good for an evil action.
Jersey, grève d'Azette, juillet 1855.

Translation: Copyright © Timothy Adès

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The Epic Story of the Lion

L'Épopée du lion

Victor Hugo (1802-85)

L'Épopée du lion
I. LE PALADIN Un lion avait pris un enfant dans sa gueule, Et, sans lui faire mal, dans la forêt, aïeule Des sources et des nids, il l’avait emporté. Il l’avait, comme on cueille une fleur en été, Saisi sans trop savoir pourquoi, n’ayant pas même Mordu dedans, mépris fier ou pardon suprême ; Les lions sont ainsi, sombres et généreux. Le pauvre petit prince était fort malheureux ; Dans l’antre, qu’emplissait la grande voix bourrue, Blotti, tremblant, nourri d’herbe et de viande crue. Il vivait, presque mort et d’horreur hébété. C’était un frais garçon, fils du roi d’à côté ; Tout jeune, ayant dix ans, âge tendre où l’œil brille ; Et le roi n’avait plus qu’une petite fille Nouvelle-née, ayant deux ans à peine ; aussi Le roi qui vieillissait n’avait-il qu’un souci, Son héritier en proie au monstre ; et la province Qui craignait le lion plus encor que le prince Était fort effarée. Un héros qui passait Dans le pays fit halte, et dit : Qu’est-ce que c’est ? On lui dit l’aventure ; il s’en alla vers l’antre. * Un creux où le soleil lui-même est pâle, et n’entre Qu’avec précaution, c’était l’antre où vivait L’énorme bête, ayant le rocher pour chevet. Le bois avait, dans l’ombre et sur un marécage, Plus de rameaux que n’a de barreaux une cage ; Cette forêt était digne de ce consul ; Un menhir s’y dressait en l’honneur d’Irmensul ; La forêt ressemblait aux halliers de Bretagne ; Elle avait pour limite une rude montagne, Un de ces durs sommets où l’horizon finit ; Et la caverne était taillée en plein granit, Avec un entourage orageux de grands chênes ; Les antres, aux cités rendant haines pour haines, Contiennent on ne sait quel sombre talion. Les chênes murmuraient : Respectez le lion ! * Le héros pénétra dans ce palais sauvage ; L’antre avait ce grand air de meurtre et de ravage Qui sied à la maison des puissants, de l’effroi, De l’ombre, et l’on sentait qu’on était chez un roi ; Des ossements à terre indiquaient que le maître Ne se laissait manquer de rien ; une fenêtre Faite par quelque coup de tonnerre au plafond L’éclairait ; une brume où la lueur se fond, Qui semble aurore à l’aigle et nuit à la chouette, C’est toute la clarté qu’un conquérant souhaite ; Du reste c’était haut et fier ; on comprenait Que l’être altier couchait sur un lit de genêt Et n’avait pas besoin de rideaux de guipure, Et qu’il buvait du sang, mais aussi de l’eau pure, Simplement, sans valet, sans coupe et sans hanap. Le chevalier était armé de pied en cap. Il entra. * Tout de suite il vit dans la tanière Un des plus grands seigneurs couronnés de crinière Qu’on pût voir, et c’était la bête ; elle pensait ; Et son regard était profond, car nul ne sait Si les monstres des bois n’en sont pas les pontifes ; Et ce lion était un maître aux larges griffes, Sinistre, point facile à décontenancer. Le héros approcha, mais sans trop avancer. Son pas était sonore, et sa plume était rouge. Il ne fit remuer rien dans l’auguste bouge. La bête était plongée en ses réflexions. Thésée entrant au gouffre où sont les Ixions Et les Sisyphes nus et les flots de l’Averne, Vit à peu près la même implacable caverne. Le paladin, à qui le devoir disait : va ! Tira l’épée. Alors le lion souleva Sa tête doucement d’une façon terrible. Et le chevalier dit : — Salut, ô bête terrible ! Tu caches dans les trous de ton antre un enfant ; J’ai beau fouiller des yeux ton repaire étouffant, Je ne l’aperçois pas. Or, je viens le reprendre. Nous serons bons amis si tu veux me le rendre ; Sinon, je suis lion aussi, moi, tu mourras ; Et le père étreindra son enfant dans ses bras, Pendant qu’ici ton sang fumera, tiède encore ; Et c’est ce que verra demain la blonde aurore. Et le lion pensif lui dit : — Je ne crois pas. * Sur quoi le chevalier farouche fit un pas, Brandit sa grande épée, et dit : Prends garde, sire ! On vit le lion, chose effrayante, sourire. Ne faites pas sourire un lion. Le duel S’engagea, comme il sied entre géants, cruel, Tel que ceux qui de l’Inde ensanglantent les jungles. L’homme allongea son glaive et la bête ses ongles ; On se prit corps à corps, et le monstre écumant Se mit à manier l’homme effroyablement ; L’un était le vaillant et l’autre le vorace ; Le lion étreignit la chair sous la cuirasse, Et, fauve, et sous sa griffe ardente pétrissant Ce fer et cet acier, il fit jaillir le sang Du sombre écrasement de toute cette armure, Comme un enfant rougit ses doigts dans une mûre ; Et puis l’un après l’autre il ôta les morceaux Du casque et des brassards, et mit à nu les os. Et le grand chevalier n’était plus qu’une espèce De boue et de limon sous la cuirasse épaisse ; Et le lion mangea le héros. Puis il mit Sa tête sur le roc sinistre et s’endormit. II. L’ERMITE Alors vint un ermite. Il s’avança vers l’antre ; Grave et tremblant, sa croix au poing, sa corde au ventre, Il entra. Le héros tout rongé gisait là Informe, et le lion, se réveillant, bâilla. Le monstre ouvrit les yeux, entendit une haleine, Et, voyant une corde autour d’un froc de laine, Un grand capuchon noir, un homme là dedans, Acheva de bâiller, montrant toutes ses dents ; Puis, auguste, et parlant comme une porte grince, Il dit : — Que veux-tu, toi ? — Mon roi. — Quel roi ? — Mon prince. — Qui ? — L’enfant. — C’est cela que tu nommes un roi ! L’ermite salua le lion. — Roi, pourquoi As-tu pris cet enfant ? — Parce que je m’ennuie. Il me tient compagnie ici les jours de pluie. — Rends-le-moi. — Non. Je l’ai. — Qu’en veux-tu faire enfin ? Le veux-tu donc manger ? — Dame ! si j’avais faim ! — Songe au père, à son deuil, à sa douleur amère. — Les hommes m’ont tué la lionne, ma mère. — Le père est roi, seigneur, comme toi. — Pas autant. S’il parle, c’est un homme, et moi, quand on m’entend, C’est le lion. — S’il perd ce fils… — Il a sa fille. — Une fille, c’est peu pour un roi. — Ma famille A moi, c’est l’âpre roche et la fauve forêt, Et l’éclair qui parfois sur ma tête apparaît ; Je m’en contente. — Sois clément pour une altesse. — La clémence n’est pas ; tout est de la tristesse. — Veux-tu le paradis ? Je t’offre le blanc-seing Du bon Dieu. — Va-t’en, vieil imbécile de saint ! L’ermite s’en alla. III. LA CHASSE ET LA NUIT Le lion solitaire, Plein de l’immense oubli qu’ont les monstres sur terre, Se rendormit, laissant l’intègre nuit venir. La lune parut, fit un spectre du menhir, De l’étang un linceul, du sentier un mensonge, Et du noir paysage inexprimable un songe ; Et rien ne bougea plus dans la grotte, et, pendant Que les astres sacrés marchaient vers l’occident Et que l’herbe abritait la taupe et la cigale, La respiration du grand lion, égale Et calme, rassurait les bêtes dans les bois. Tout à coup des clameurs, des cors et des abois. Un de ces bruits de meute et d’hommes et de cuivres, Qui font que brusquement les forêts semblent ivres, Et que la nymphe écoute en tremblant dans son lit, La rumeur d’une chasse épouvantable emplit Toute cette ombre, lac, montagne, bois, prairie, Et troubla cette vaste et fauve rêverie. Le hallier s’empourpra de tous les sombres jeux D’une lueur mêlée à des cris orageux. On entendait hurler les chiens chercheurs de proies ; Et des ombres couraient parmi les claires-voies. Cette altière rumeur d’avance triomphait. On eût dit une armée ; et c’était en effet Des soldats envoyés par le roi, par le père, Pour délivrer le prince et forcer le repaire, Et rapporter la peau sanglante du lion. De quel côté de l’ombre est la rébellion, Du côté de la bête ou du côté de l’homme ? Dieu seul le sait ; tout est le chiffre, il est la somme. Les soldats avaient fait un repas copieux, Étaient en bon état, armés d’arcs et d’épieux, En grand nombre, et conduits par un fier capitaine. Quelques-uns revenaient d’une guerre lointaine, Et tous étaient des gens éprouvés et vaillants. Le lion entendait tous ces bruits malveillants, Car il avait ouvert sa tragique paupière ; Mais sa tête restait paisible sur la pierre, Et seulement sa queue énorme remuait. * Au dehors, tout autour du grand antre muet, Hurlait le brouhaha de la foule indignée ; Comme un essaim bourdonne autour d’une araignée, Comme une ruche autour d’un ours pris au lacet, Toute la légion des chasseurs frémissait ; Elle s’était rangée en ordre de bataille. On savait que le monstre était de haute taille, Qu’il mangeait un héros comme un singe une noix, Qu’il était plus hautain qu’un tigre n’est sournois, Que son regard faisait baisser les yeux à l’aigle ; Aussi lui faisait-on l’honneur d’un siège en règle. La troupe à coups de hache abattait les fourrés ; Les soldats avançaient l’un sur l’autre serrés, Et les archers tendaient sur la corde les flèches. On fit silence, afin que sur les feuilles sèches On entendît les pas du lion, s’il venait. Et les chiens, qui selon le moment où l’on est Savent se taire, allaient devant eux, gueule ouverte, Mais sans bruit. Les flambeaux dans la bruyère verte Rôdaient, et leur lumière allongée en avant Éclairait ce chaos d’arbres tremblant au vent ; C’est ainsi qu’une chasse habile se gouverne. On voyait à travers les branches la caverne, Sorte de masse informe au fond du bois épais, Béante, mais muette, ayant un air de paix Et de rêve, et semblant ignorer cette armée. D’un âtre où le feu couve il sort de la fumée, D’une ville assiégée on entend le beffroi ; Ici rien de pareil ; avec un vague effroi, Tous observaient, le poing sur l’arc ou sur la pique, Cette tranquillité sombre de l’antre épique ; Les dogues chuchotaient entre eux je ne sais quoi ; De l’horreur qui dans l’ombre obscure se tient coi, C’est plus inquiétant qu’un fracas de tempête. Cependant on était venu pour cette bête, On avançait, les yeux fixés sur la forêt, Et non sans redouter ce que l’on désirait ; Les éclaireurs guettaient, élevant leur lanterne ; On regardait le seuil béant de la caverne ; Les arbres frissonnaient, silencieux témoins ; On marchait en bon ordre, on était mille au moins… Tout à coup apparut la face formidable. * On vit le lion. Tout devint inabordable Sur-le-champ, et les bois parurent agrandis ; Ce fut un tremblement parmi les plus hardis ; Mais, fût-ce en frémissant, de vaillants archers tirent, Et sur le grand lion les flèches s’abattirent, Un tourbillon de dards le cribla. Le lion, Pas plus que sous l’orage Ossa ni Pélion Ne s’émeuvent, fronça son poil, et grave, austère, Secoua la plupart des flèches sur la terre ; D’autres, sur qui ces dards se seraient enfoncés, Auraient certes trouvé qu’il en restait assez, Ou se seraient enfuis ; le sang rayait sa croupe ; Mais il n’y prit point garde, et regarda la troupe ; Et ces hommes, troublés d’être en un pareil lieu, Doutaient s’il était monstre ou bien s’il était dieu. Les chiens muets cherchaient l’abri des fers de lance. Alors le fier lion poussa, dans ce silence, A travers les grands bois et les marais dormants, Un de ces monstrueux et noirs rugissements Qui sont plus effrayants que tout ce qu’on vénère, Et qui font qu’à demi réveillé, le tonnerre Dit dans le ciel profond : Qui donc tonne là-bas ? Tout fut fini. La fuite emporte les combats Comme le vent la brume, et toute cette armée, Dissoute, aux quatre coins de l’horizon semée, S’évanouit devant l’horrible grondement. Tous, chefs, soldats, ce fut l’affaire d’un moment, Croyant être en des lieux surhumains où se forme On ne sait quel courroux de la nature énorme, Disparurent, tremblants, rampants, perdus, cachés. Et le monstre cria : — Monts et forêts, sachez Qu’un lion libre est plus que mille hommes esclaves. * Les bêtes ont le cri comme un volcan les laves ; Et cette éruption qui monte au firmament D’ordinaire suffit à leur apaisement ; Les lions sont sereins plus que les dieux peut-être ; Jadis, quand l’éclatant Olympe était le maître, Les Hercules disaient : — Si nous étranglions A la fin, une fois pour toutes, les lions ? Et les lions disaient : — Faisons grâce aux Hercules. Pourtant ce lion-ci, fils des noirs crépuscules, Resta sinistre, obscur, sombre ; il était de ceux Qui sont à se calmer rétifs et paresseux, Et sa colère était d’une espèce farouche. La bête veut dormir quand le soleil se couche ; Il lui déplaît d’avoir affaire aux chiens rampants ; Ce lion venait d’être en butte aux guet-apens ; On venait d’insulter la forêt magnanime ; Il monta sur le mont, se dressa sur la cime, Et reprit la parole, et, comme le semeur Jette sa graine au loin, prolongea sa clameur De façon que le roi l’entendit dans sa ville : — Roi ! tu m’as attaqué d’une manière vile ! Je n’ai point jusqu’ici fait mal à ton garçon ; Mais, roi, je t’avertis, par-dessus l’horizon Que j’entrerai demain dans ta ville à l’aurore, Que je t’apporterai l’enfant vivant encore, Que j’invite à me voir entrer tous tes valets, Et que je mangerai ton fils dans ton palais. La nuit passa, laissant les ruisseaux fuir sous l’herbe Et la nuée errer au fond du ciel superbe. Le lendemain on vit dans la ville ceci : L’aurore ; le désert ; des gens criant merci, Fuyant, faces d’effroi bien vite disparues ; Et le vaste lion qui marchait dans les rues. IV. L’AURORE Le blême peuple était dans les caves épars. A quoi bon résister ? Pas un homme aux remparts ; Les portes de la ville étaient grandes ouvertes. Ces bêtes à demi divines sont couvertes D’une telle épouvante et d’un doute si noir, Leur antre est un si morne et si puissant manoir, Qu’il est décidément presque impie et peu sage, Quand il leur plaît d’errer, d’être sur leur passage. Vers le palais chargé d’un dôme d’or massif Le lion à pas lents s’acheminait pensif, Encor tout hérissé des flèches dédaignées ; Une écorce de chêne a des coups de cognées, Mais l’arbre n’en meurt pas ; et, sans voir un archer, Grave, il continuait d’aller et de marcher ; Et le peuple tremblait, laissant la bête seule. Le lion avançait, tranquille, et dans sa gueule Effroyable il avait l’enfant évanoui. Un petit prince est-il un petit homme ? Oui. Et la sainte pitié pleurait dans les ténèbres. Le doux captif, livide entre ces crocs funèbres, Était des deux côtés de la gueule pendant, Pâle, mais n’avait pas encore un coup de dent ; Et, cette proie étant un bâillon dans sa bouche, Le lion ne pouvait rugir, ennui farouche Pour un monstre, et son calme était très furieux ; Son silence augmentait la flamme de ses yeux ; Aucun arc ne brillait dans aucune embrasure ; Peut-être craignait-on qu’une flèche peu sûre, Tremblante, mal lancée au monstre triomphant, Ne manquât le lion et ne tuât l’enfant. * Comme il l’avait promis par-dessus la montagne, Le monstre, méprisant la ville comme un bagne, Alla droit au palais, las de voir tout trembler, Espérant trouver là quelqu’un à qui parler, La porte ouverte, ainsi qu’au vent le jonc frissonne, Vacillait. Il entra dans le palais. Personne. Tout en pleurant son fils, le roi s’était enfui Et caché comme tous, voulant vivre aussi lui, S’estimant au bonheur des peuples nécessaire. Une bête féroce est un être sincère Et n’aime point la peur ; le lion se sentit Honteux d’être si grand, l’homme étant si petit ; Il se dit, dans la nuit qu’un lion a pour âme : — C’est bien, je mangerai le fils. Quel père infâme ! — Terrible, après la cour prenant le corridor, Il se mit à rôder sous les hauts plafonds d’or ; Il vit le trône, et rien dedans ; des chambres vertes, Jaunes, rouges, aux seuils vides, toutes désertes ; Le monstre allait de salle en salle, pas à pas, Affreux, cherchant un lieu commode à son repas ; Il avait faim. Soudain l’effrayant marcheur fauve S’arrêta. * Près du parc en fleur, dans une alcôve, Un pauvre être, oublié dans la fuite, bercé Par l’immense humble rêve à l’enfance versé, Inondé de soleil à travers la charmille, Se réveillait. C’était une petite fille ; L’autre enfant du roi. Seule et nue, elle chantait. Car l’enfant chante même alors que tout se tait. Une ineffable voix, plus tendre qu’une lyre, Une petite bouche avec un grand sourire, Un ange dans un tas de joujoux, un berceau, Crèche pour un Jésus ou nid pour un oiseau, Deux profonds yeux bleus, pleins de clartés inconnues, Col nu, pieds nus, bras nus, ventre nu, jambes nues, Une brassière blanche allant jusqu’au nombril. Un astre dans l’azur, un rayon en avril, Un lys du ciel daignant sur cette terre éclore, Telle était cette enfant plus douce que l’aurore ; Et le lion venait d’apercevoir cela. Il entra dans la chambre, et le plancher trembla. Par-dessus les jouets qui couvraient une table, Le lion avança sa tête épouvantable, Sombre en sa majesté de monstre et d’empereur, Et sa proie en sa gueule augmentait son horreur. L’enfant le vit, l’enfant cria : — Frère ! mon frère ! Ah ! mon frère ! — et debout, rose dans la lumière Qui la divinisait et qui la réchauffait, Regarda ce géant des bois, dont l’œil eût fait Reculer les Typhons et fuir les Briarées. Qui sait ce qui se passe en ces têtes sacrées ? Elle se dressa droite au bord du lit étroit, Et menaça le monstre avec son petit doigt. Alors, près du berceau de soie et de dentelle, Le grand lion posa son frère devant elle, Comme eût fait une mère en abaissant les bras, Et lui dit : — Le voici. Là ! ne te fâche pas !
The Epic Story of the Lion
I. THE PALADIN A lion had clamped its jaws around a child, And carried it, unharmed, into the wild Forest, where streams and birds’-nests are at home. He’d seized it as one plucks a summer bloom, Not really knowing why, nor even torn The skin, through tender-heartedness or scorn; Contempt, or loving-kindness, or defiance. They’re serious beasts, and generous, are lions. The little prince was in a wretched plight: Raw meat and grass his diet, weak with fright, He cowered in the cave, half-perishing. He was the offspring of the local king: The boy was ten years old, with sweet bright eyes. The king had just the one child otherwise, A little baby girl of two; and since He was quite old, his thoughts were with the prince, The monster’s prey. The country-folk were awed: A lion more fearsome than their own liege lord! A hero wandered in. They told the brave Man what was up; he headed for the cave. * A hollow where the very sunshine paled, And entered warily, was the cave that held The giant beast, complete with rocky pillow. The wood was in a swamp and in deep shadow, Set with more branches than a cage has bars, Dense in the Breton style with tangled briars. This forest was “right worthy of its consul,” (Virgil) with menhir sacred to Irmensul; A jagged skyline ended and began it; The cave was sculpted out of solid granite, With mighty oaks for stormy retinue. Caves detest cities, and to pay their due May harbour some dark instrument of vengeance. Respect the lion: the oaks intone the sentence. * A savage palace: and he stepped inside. An air of rapine and of homicide Hangs on the homes of tyrants: harrowing Dark shadows. Yes, his host must be a king. The master lacked for nothing, you could tell From the bones; soft lighting from a central well, Where thunderclaps had knocked a skylight through: For conquerors a blurry haze will do, An owl’s idea of night, or, to an eagle, The early dawn; more glare would not be regal. Well, then, you had a tall and handsome room: His Highness clearly slept on fronds of broom, Without embroidered drapes; his drink, it’s true, Was blood, but then he took pure water too, Quite simply, with no butler, bowl, or cup. Enter the knight, well-armed from toe to top. * At once he looked around the lair. One of the greatest lords was there That you may see, with huge mane crowned: The lion, in thought, his gaze profound. For who can say if jungle beasts Serve as exalted sylvan priests? This was a lion that excelled, Fearsome, big-clawed, not quickly quelled. The knight moved forward up the room; His step was loud, bright red his plume. The beast was sunk in reveries; The presence-chamber was at peace. Old Theseus saw in gulfs of hell Ixion, Sisyphus as well, Naked by cold Avernus’ wave: No less forbidding was the cave. The paladin, whom duty spurred With “Right, get going,” drew his sword. Deliberate, and inspiring dread, The lion slowly raised its head. “Ho, grisly beast!” the warrior said: “About your cave a child is hid. Scanning your insalubrious lair I do not see it anywhere. I’ve come to fetch it: we shall be Friends, if you give it up to me. If not, I am myself a lion: You’ll perish, while the royal scion Rests in his father’s arms once more, Far from your hot and reeking gore. That’s what the next pale dawn will see.” The lion said: “I disagree.” * The knight advanced, and cried “On guard, Sir!” brandishing his mighty sword. You might suppose the lion roared: But no, it smiled. (It almost purred.) Don’t make a lion smile. The duel Between two champions was cruel, As when the Indian jungles bleed: The man with his extended blade Against the beast with lengthened claws, They grapple, and with slavering jaws Most horribly the monster mauls The man, one daring, one devouring, Squeezing the flesh beneath the mail, Savagely kneading iron and steel, Crushing to bits cuirass and all: Just as a child gets purple stains, Dabbling in blackberries. The remains Of crested helmet and brassards One at a time the lion discards, Until the bones are all laid bare. And now the splendid cavalier Is just a messy pulp inside The thick cuirass. The lion devoured The hero, went to sleep, and snored. II THE HERMIT A hermit came: approached the cave, Rope round his belly, trembling, grave; Clutching his cross he stepped inside. There lay the knight, all pulpified. The lion woke, yawned, opened wide Its eyes, breathed deeply, and espied Cord, woolly habit, man inside, With big black hood; now satisfied, Showed all its teeth and, full of state, Spoke like a grinding rusty gate: “Want something?” “Yes – my king.” “What king?” “Prince – ” “Who?” “The child.” “Call that a king?” The hermit bowed. “O kingly one, Why did you take the child?” “For fun: Company for a rainy day.” “Release him.” “No – he’s mine.” “Then say, What’s next? You’ll eat him up?” “I may Get hungry.” “Think of his grieving father.” “Men killed the lioness, my mother.” “His father’s royal, like you.” “Not true; His voice is just a man’s; if you Hear mine, I’m the lion.” “If he has To lose his son?” “There’s still the lass.” “Not much for a king.” “My family Is the wild crag, the greenwood tree, The lightning overhead: these three.” “Have mercy on a royal highness!” “There is no mercy – only sadness.” “What about paradise? I can Get God’s blank signature – blanc-seing…” “Remove yourself, old holy man!” The hermit went away. III THE HUNT AND THE NIGHT The lion, alone, Filled with a wild beast’s great oblivion, Went back to sleep, and down came perfect night. The menhir stood in moonbeams’ ghostly light, The pond became a shroud, the path a lie, A dream the mystic dark locality: The cave was still, the holy stars strode toward The dawn; the moles and crickets in the sward Lay safe; the lion’s calm and rhythmic breath Cheered the small creatures of the woods and heath. Suddenly dogs were baying, there were shouts Of men, the blare of brass: one of those routs That sends the forest reeling drunkenly, While nymphs in bed lie listening nervously: The din of a tremendous hunt, that filled The whole lake, shadow, mountain, forest, field, Troubling that vast, untamed, and dreaming world. The undergrowth was red with trumpery Of flickering lights, mixed with the hue-and-cry; The dogs were howling loud in search of prey, And shadows danced about each open way. A noble noise, whose triumph went before: You would have said an army - which they were: Soldiers the king had sent to storm the lair, Rescue the prince, his only son and heir, And bring the lion’s blood-stained hide back home. Out of what darkness does rebellion come? From man, or beast? He knows, who said I AM: All things are numbers, he is the total sum. The soldiers were well-fed and fit and tanned, Well-armed, with bows and hunting-spears to hand, A proud and gallant captain in command. Some had been fighting in a distant land, And all were tested and courageous men. The lion could hear the ill-intentioned din; His baleful eye was open, but his head Stayed on its rock, the pillow of his bed; Only his great tail stirred and fidgeted. * Outside the spacious cave that gave no sound, The tumult of the angry host, all round, Was like a buzzing swarm of bees, that hound A spider, or assault a netted bear: The regiment of hunters simmered there, Drawn up in battle order, well aware The monster was gigantic, one who ate A hero as a monkey eats a nut; So lordly that his eye stared down the eagle; Beyond the tiger’s cunning, still more regal: And so with formal siege they paid respect. With hatchet-blows the tangled scrub was hacked; The troops advanced, close-ordered; every tree Tugged at their bowstrings, flexed their armoury. They made no sound, because they hoped to hear The lion tread dry leaves, if he was near. The dogs – they know when silence is required – Moved noiseless, open-jawed. The torches flared In the green shrubs, and threw their elongated Light on dense foliage, that the wind vibrated. That’s how a skilful hunt is organised. Amid the boughs the cave was scrutinised, A shapeless mass, deep in the ruck of trees, Gaping, yet silent, with an air of peace, Dreamily heedless of the martial throng. Fire in a hearth makes smoke, the belfry’s song Swells from a town besieged; no glimmer here, No echo; they observed, with nameless fear, With hand on bow or pike, the eerie quiet Of the tremendous cave; I don’t know quite what The dogs were muttering; we’re less afraid Of thunderclaps, than horrors in the shade. Their task, to hunt the beast: they pressed ahead, Scanning the fronds, in hope and yet in dread. The scouts were looking sharp, each had his lantern: They watched the yawning threshold of the cavern. The trees were mute, and shuddered, looking on; The march was orderly, a thousand strong; Possibly more, keeping a steady pace… Suddenly, look! The lion’s fearsome face. * At once it all seemed hopeless. All the trees Loomed bigger; strong men trembled at the knees. In spite of that, the valiant bowmen drew, And landed arrows on the lion, who Was riddled with a squall of darts. The storm Cannot shake Snowdon, or excite Cairngorm; With like solemnity the lion frowned, Shook nearly all the arrows to the ground. Others in whom so many darts had stuck Would probably have fled, not pushed their luck; Blood streaked his flank; he stood there, face to face With the army; they, not fancying the place, Reckoned the monster might be god or demon. The dogs, abashed, slank back behind the spearmen. Silence. And then across the great outdoors Of woods and sleeping marsh, the lion roars, One of those black and monstrous roars, that scares Us more than all that’s holy; even dares The Thunder, which half-wakes, and wants to know, From highest heaven, Who thunders there below? It was the end. They fled, and took the fray With them, as when the wind blows mist away: The army broke, and scattered to the four Points of the compass, at that dreadful roar. It took one moment: soldiers, chiefs and all Thought themselves in some supernatural Place where the mighty wrath of nature brews: Destroyed and crawling, shaking in their shoes, They hid, they vanished. “Mountains, forests, see!” The monster cried aloud: “One lion free Outweighs a thousand men in slavery.” As lava from volcanoes is the cry Of beasts: one outburst soaring to the sky Normally calms them. Lions may be more cool Than gods. Beneath the old Olympians’ rule, “Suppose we did it,” said the Herculeses, “And strangled all the lions and lionesses?” The lions said: “Let’s shower them with mercies.” This lion, though, was sinister and sombre, Black nightfall’s child, the type whose rages linger, Not quickly calmed, ferocious in his anger. A beast at sundown is intent on sleeping: Dogs are a nuisance if they come a-creeping; This lion had been the butt of scouts and spies; The generous woods had borne indignities. He climbed the mountain, reared upon its crest, Gave voice again; and, just as sowers cast Seed far and wide, he spread his mighty roar Down to the city for the king to hear: “King! You have shamefully assailed Me, though I have not harmed your child; I tell you this from far afield: At dawn tomorrow I’ll arrive In your city, with the boy alive. I invite as audience all your valets: I shall eat your son inside your palace.” All night, the streams went running through the grass, And the clouds strayed beneath the splendid stars. * How did the city greet the rising sun? Dawn and the desert; people on the run, Crying for mercy, terrified, soon gone, While through the streets the mighty beast came on. iv The Dawn The populace, aghast, was in the basements. No use resisting. No-one on the battlements; The gates yawned wide. They are so awe-inspiring, These demigods, brute beasts of black despairing, So grim and grand their cave, it is unwise, Wrong to be there when they materialise. The palace had a massive dome of gold, To which the lion, slow and thoughtful, strolled, Still bristling with the darts, which he ignored: An oak-tree doesn’t die because its hard Husk has been battered. Archers he saw none: The people quailed and left the beast alone. The lion, calm, came on without a pause, Holding the child unconscious in its jaws. A little prince is human, as you know; The sight made tears of blessed pity flow. His body stagnant in the jaws of death, The tender captive drooped in two beneath, Pallid, but still unpunctured by the teeth. Gagged by his prey, the lion couldn’t roar, Which for a monster is a fearsome bore: His calm was furious and he glared the more. No glint of missile at embrasured slit: They may have feared an arrow’s fatal hit, Shakily aimed at the triumphant monster, Might miss the lion and despatch the youngster. * Keeping his mountain promise, he rejected The city as unwholesome, and directed His steps towards the palace. Being sated With dread, he hopefully anticipated Finding a person to converse with. Lo, The door like windblown reed swung to and fro. He entered. Was there anybody? No. Well, the king, shedding tears for his lost one, had fled Into hiding. My goal is survival, he said: For the people’s well-being I’m needed, it’s clear. - Wild beasts are sincere, don’t take kindly to fear, And the lion, so large when a man is so small, Felt the shame. In the dark of his leonine soul He said: Wretch of a father! I’ll feast on the son. From the courtyard, through corridors, wandering on Under fine golden ceilings, he came to the throne, Which was empty; then chambers, red, yellow, and green, Wide open, deserted, a desolate scene: Through hall after hall went the terrible beast In search of a suitable place for his feast. He was hungry. He suddenly came to a stop. * In an alcove near the garden Was a poor wee thing, forgotten In the panic, rocked and cradled By the big plain dream of childhood, As the sun poured through the arbour, Yes, the little girl was waking; She was all alone, half-naked, She, the king’s own daughter, singing: For a child sings on, no matter Whether all around is silent. * A voice more soft than a lyre to be heard, A little mouth with a great big smile, A cradle, an angel in a tall toy-pile, A crib for a Jesus, a nest for a bird, Two eyes blue and deep, mysteriously bright, Feet, arms, tummy, neck and legs all bare, Covered to the navel by a vest of white, A sunbeam in April, a sky-high star, A lily-bud from heaven, to earth come down: That was the infant, sweeter than dawn. That’s what the lion had seen. He came through the door, things were shaking on the floor, Where the toys were on the table, he reared his mighty head; He had the sombre majesty of monster and of emperor, The prey in his jaws made the horror even more. And the child, she saw and she said: O! my brother! My brother! O! my brother! Standing pink in the light she was numinous and warm And she gazed at the super-enormous form Of the jungle giant with his eye defiant To give Og, Gog and Magog a terrible fright And to put them to flight. Who knows what goes through those godlike heads? She stood up tall by the narrow bed And she wagged her finger at the monstrous head. The lion by the cradle of silk and lace Put her brother down before her face, As a mother might do with her arms across, And he said, “Here you are now. Don’t be cross!”

Translation: Copyright © Timothy Adès

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Translated by Timothy Adès
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George And Jean (How to be a Grandfather)

Georges Et Jeanne (L’Art d’être Grand-Père)

Victor Hugo (1802-85)

Georges Et Jeanne (L’Art d’être Grand-Père)
Moi qu'un petit enfant rend tout à fait stupide, J'en ai deux; George et Jeanne; et je prends l'un pour guide Et l'autre pour lumière, et j'accours à leur voix, Vu que George a deux ans et que Jeanne a dix mois. Leurs essais d'exister sont divinement gauches; On croit, dans leur parole où tremblent des ébauches, Voir un reste de ciel qui se dissipe et fuit; Et moi qui suis le soir, et moi qui suis la nuit, Moi dont le destin pâle et froid se décolore, J'ai l'attendrissement de dire: Ils sont l'aurore. Leur dialogue obscur m'ouvre des horizons; Ils s'entendent entr'eux, se donnent leurs raisons. Jugez comme cela disperse mes pensées. En moi, désirs, projets, les choses insensées, Les choses sages, tout, à leur tendre lueur, Tombe, et je ne suis plus qu'un bonhomme rêveur. Je ne sens plus la trouble et secrète secousse Du mal qui nous attire et du sort qui nous pousse. Les enfants chancelants sont nos meilleurs appuis. Je les regarde, et puis je les écoute, et puis Je suis bon, et mon coeur s'apaise en leur présence; J'accepte les conseils sacrés de l'innocence, Je fus toute ma vie ainsi; je n'ai jamais Rien connu, dans les deuils comme sur les sommets, De plus doux que l'oubli qui nous envahit l'âme Devant les êtres purs d'où monte une humble flamme; Je contemple, en nos temps souvent noirs et ternis, Ce point du jour qui sort des berceaux et des nids. Le soir je vais les voir dormir. Sur leurs fronts calmes. Je distingue ébloui l'ombre que font les palmes Et comme une clarté d'étoile à son lever, Et je me dis: À quoi peuvent-ils donc rêver ? Georges songe aux gâteaux, aux beaux jouets étranges, Au chien, au coq, au chat; et Jeanne pense aux anges. Puis, au réveil, leurs yeux s'ouvrent, pleins de rayons. Ils arrivent, hélas! à l'heure où nous fuyons. Ils jasent. Parlent-ils ? Oui, comme la fleur parle A la source des bois; comme leur père Charle, Enfant, parlait jadis à leur tante Dédé; Comme je vous parlais, de soleil inondé, mes frères, au temps où mon père, jeune homme, Nous regardait jouer dans la caserne, à Rome, A cheval sur sa grande épée, et tout petits. Jeanne qui dans les yeux a le myosotis, Et qui, pour saisir l'ombre entr'ouvrant ses doigts frêles, N'a presque pas de bras ayant encor des ailes, Jeanne harangue, avec des chants où flotte un mot, Georges beau comme un dieu qui serait un marmot. Ce n'est pas la parole, ô ciel bleu, c'est le verbe; C'est la langue infinie, innocente et superbe Que soupirent les vents, les forêts et les flots; Les pilotes Jason, Palinure et Typhlos Entendaient la sirène avec cette voix douce Murmurer l'hymne obscur que l'eau profonde émousse; C'est la musique éparse au fond du mois de mai Qui fait que l'un dit: J'aime, et l'autre, hélas: J'aimai; C'est le langage vague et lumineux des êtres Nouveau-nés, que la vie attire à ses fenêtres, Et qui, devant avril, éperdus, hésitants, Bourdonnent à la vitre immense du printemps. Ces mots mystérieux que Jeanne dit à George, C'est l'idylle du cygne avec le rouge-gorge, Ce sont les questions que les abeilles font, Et que le lys naïf pose au moineau profond; C'est ce dessous divin de la vaste harmonie, Le chuchotement, l'ombre ineffable et bénie Jasant, balbutiant des bruits de vision, Et peut-être donnant une explication; Car les petits enfants étaient hier encore Dans le ciel, et savaient ce que la terre ignore. Jeanne! Georges! voix dont j'ai le cœur saisi ! Si les astres chantaient, ils bégaieraient ainsi. Leur front tourné vers nous nous éclaire et nous dore. Oh ! d'où venez-vous donc, inconnus qu'on adore ? Jeanne a l'air étonné; Georges a les yeux hardis. Ils trébuchent, encore ivres du paradis.
George And Jean (How to be a Grandfather)
A child makes me a stupid ass: In George and Jean I have a brace. One is my guide and one my star. I run to where their voices are; Jean is ten months and George is two, Divinely gauche in all they do; And when they try to speak, we seem To sense a passing, holy dream. I who am evening, I the night, Pale, cold, and doomed to fade from sight, Call them, with love, the dawning light. Their riddling speech expands my brain, As they confer, concur, explain. My thoughts are disarranged, dispersed: My hopes, my plans, the best, the worst, Collapse in their relaxing glow, And I’m a star-struck so-and-so. Sin’s lure, and our appointed lot, May jolt and jar, but touch me not. The tottering child’s our safest prop. I watch, and listen, and I stop Worrying: I am good, and nice, Take innocence’s pure advice. I’ve always done so; I’ve not known, Whether elated or cast down, Sweetness to match our blissful dream At a pure being’s humble flame: Thus, in our black and tarnished times, From nests and cradles, daylight climbs. * I watch them sleep. Their brows are calm, Part shaded by a tiny palm, Part brighter than a rising star. I wonder what their visions are: George dreams of cakes, of wondrous toys, The dog, cat, cockerel; Jean enjoys Her angels. Then they waken, smiling. They reach us just as we are failing. They babble: they are chattering, As woodland flower to limpid spring, As Charles their father used to do With their Aunt Adela, long ago; As I with you in sunny Rome, Dear brothers! at our father’s home, The barracks: as he watched, we rode, Playing at gee-gees, on his sword. Jean’s eyes, forget-me-nots of sight! Frail fingers, splayed to hold the night! Her arms, two wings for angel-flight! Songs, almost wordless, recondite, For handsome George, the favoured mite. No language this, but infinite Reason, as innocent and noble As winds’ and waves’ and forests’ burble. Jason and Palinurus heard The siren softly speak this word, Dark music by deep water blurred; May-music, such that, strangely moved, We say ‘I love’, or ‘Once I loved’: The vague translucent speech that spills From infants at Life’s window-sills, Who baulk at April, at a loss, And hum and buzz at Spring’s great glass. These mystic words of George and Jean! Poems of the robin and the swan, Queries of bumble-bees, a silly Quiz to wise sparrows from the lily; The bass-note of God’s harmony, Vast, whispering, awesome sanctity, Murmuring, stammering reverie, Which may enlighten you and me: For little ones, a day ago, Were still in heaven, and they know Much more than we do, here below. Jean! George! I love those chirps of yours, Uncertain as the songs of stars! We’re lightened, brightened by their glance: Loved strangers, what’s your provenance? Jean gapes, and George has fearless eyes: They lurch, still drunk on paradise.

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The Djinns

Victor Hugo - Les Djinns Translated by Cloudesley Brereton

Victor Hugo (1802-85)

Translation 1913 by Cloudesley Brereton, discovered by Timothy Adès.
Victor Hugo - Les Djinns Translated by Cloudesley Brereton
E com i gru van cantando lor lai Facendo in aer di se lunga riga, Cosi vid’io venir traendo guai Ombre portate dalla detta briga. - Dante Murs, ville Et port, Asile De mort, Mer grise Où brise La brise, Tout dort. Dans la plaine Naît un bruit. C'est l'haleine De la nuit. Elle brame Comme une âme Qu'une flamme Toujours suit ! La voix plus haute Semble un grelot. D'un nain qui saute C'est le galop. Il fuit, s'élance, Puis en cadence Sur un pied danse Au bout d'un flot. La rumeur approche. L'écho la redit. C'est comme la cloche D'un couvent maudit ; Comme un bruit de foule, Qui tonne et qui roule, Et tantôt s'écroule, Et tantôt grandit, Dieu ! la voix sépulcrale Des Djinns !... Quel bruit ils font ! Fuyons sous la spirale De l'escalier profond. Déjà, s'éteint ma lampe, Et l'ombre de la rampe, Qui le long du mur rampe, Monte jusqu'au plafond. C'est l'essaim des Djinns qui passe, Et tourbillonne en sifflant ! Les ifs, que leur vol fracasse, Craquent comme un pin brûlant. Leur troupeau, lourd et rapide, Volant dans l'espace vide, Semble un nuage livide Qui porte un éclair au flanc. Ils sont tout près ! — Tenons fermée Cette salle, où nous les narguons. Quel bruit dehors ! Hideuse armée De vampires et de dragons ! La poutre du toit descellée Ploie ainsi qu'une herbe mouillée, Et la vieille porte rouillée Tremble, à déraciner ses gonds ! Cris de l'enfer! voix qui hurle et qui pleure ! L'horrible essaim, poussé par l'aquilon, Sans doute, ô ciel ! s'abat sur ma demeure. Le mur fléchit sous le noir bataillon. La maison crie et chancelle, penchée, Et l'on dirait que, du sol arrachée, Ainsi qu'il chasse une feuille séchée, Le vent la roule avec leur tourbillon. Prophète ! si ta main me sauve De ces impurs démons des soirs, J'irai prosterner mon front chauve Devant tes sacrés encensoirs ! Fais que sur ces portes fidèles Meure leur souffle d'étincelles, Et qu'en vain l'ongle de leurs ailes Grince et crie à ces vitraux noirs ! Ils sont passés ! — Leur cohorte S'envole, et fuit, et leurs pieds Cessent de battre ma porte De leurs coups multipliés. L'air est plein d'un bruit de chaînes, Et dans les forêts prochaines Frissonnent tous les grands chênes, Sous leur vol de feu pliés ! De leurs ailes lointaines Le battement décroît, Si confus dans les plaines, Si faible, que l'on croit Ouïr la sauterelle Crier d'une voix grêle, Ou pétiller la grêle Sur le plomb d'un vieux toit. D'étranges syllabes Nous viennent encor ; Ainsi, des Arabes Quand sonne le cor, Un chant sur la grève Par instants s'élève Et l'enfant qui rêve Fait des rêves d'or. Les Djinns funèbres, Fils du trépas, Dans les ténèbres Pressent leurs pas ; Leur essaim gronde ; Ainsi, profonde, Murmure une onde Qu'on ne voit pas. Ce bruit vague Qui s'endort, C'est la vague Sur le bord ; C'est la plainte, Presque éteinte, D'une sainte Pour un mort. On doute La nuit... J'écoute : — Tout fuit, Tout passe ; L'espace Efface Le bruit. https://www.youtube.com/watch?v=5ZZCsrMixOg
The Djinns
And just as cranes who sing their lay Make their long file across the sky, So I saw come, with drawn-out cry, Shades that the tempest bore away.] - Dante translated by T.A. Walls, town, Port loom With frown Of doom; Sea gray, Where ay Gleams spray; Sleep! gloom! O’er the plain Sighings steal - Gasps of pain Louder peal, As flies night, Like a sprite, Hell-fire light At its heel. The shriller sound Chimes like a bell; Its beat the bound Of pygmy fell, That backs, advances, Or, as it prances, On tiptoe dances O’er ocean's swell. The dread sound doth swell By echo rehearsed; ’Tis weird as the bell Of convent accursed; Like the roar of a crowd That thunders aloud, Rumbles - dies away cowed, Ere a louder outburst. ’Tis the Djinns! ’Tis their cry From the tombs! What a din! Ha! the stairs, let us fly Their dark hollows within! My lamp dims; o’er the wall, The shadows that fall From the balustrade, crawl Till the ceiling they win. ’Tis the swarm of Djinns in flight That hiss as they onward dash, Snapping off, like a pine alight - The yews over which they crash. Their giant and wind-swift horde Through the void of heaven have poured, Like a cloud whose womb is stored With the lightning’s hidden flash. They come! they come! Make fast the door! Here in this chamber we may flout Their hideous host. Ah! what a roar From dragon-vampires without! The rafters bend beneath the shock, Like sodden blades of grass they rock, The door tugs at its crazy lock And threats to wrench its hinges out. Infernal cries! voices that howl and wail! The dreadful swarm - no room is left for doubt - Just heavens, borne onward by the Northern gale Swoops on my home. Beneath their sooty rout The walls reel and the house filled with strange sound Shudders - methinks uprooted from the ground, Like aspen leaf whirled madly round and round, The wild winds whirl it in their train about. Oh prophet! canst thou succour now Thy son from these foul fiends of night, My shaven crown I’ll prostrate bow Before thy censer’s sacred rite. Grant on these hallowed doors may die Their fiery breath, and fruitlessly O’er these dark casements let them ply The rasping talons of their flight. They are gone, and their array Flies and flees, their cloven feet Battering at my door away Cease at length their volleying beat; Heaven with clank of chains doth ring, In the forest neighbouring Tall oaks bow them shuddering As the fire-fiends o’er them fleet. But their pinions resound Ever further aloof; So confused is the sound In the plain, ’twere a proof With its faint tinkling clang That a grasshopper sang, Or a hail-shower rang On an old leaden roof. And mysterious notes Still hither are borne, As fitfully floats To the sound of a horn, An Arab refrain They chant by the main; Dreams a child at the strain, His dreams to gold turn. The Djinns of hell, The seed of doom, In mad pell-mell Sweep through the gloom; Their horde doth rave, Hoarse as a wave That o’er its grave Unseen doth boom. The faint knell Flies - has fled! ’Tis the swell In its bed! ’Tis the plaint Death-like faint Of a Saint O’er her dead! The dark Or what Stirs? Hark! Each jot, Each trace, Doth space Erase. ’Tis not!
I found this in the British Library. An exercise in fine printing: London College of Printing c. 1911.

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Moonlight

Clair de lune from Les Orientales, 1822

Victor Hugo (1802-85)

Clair de lune from Les Orientales, 1822
La lune était sereine et jouait sur les flots. - La fenêtre enfin libre est ouverte à la brise, La sultane regarde, et la mer qui se brise, Là-bas, d'un flot d'argent brode les noirs îlots. De ses doigts en vibrant s'échappe la guitare. Elle écoute... Un bruit sourd frappe les sourds échos. Est-ce un lourd vaisseau turc qui vient des eaux de Cos, Battant l'archipel grec de sa rame tartare ? Sont-ce des cormorans qui plongent tour à tour, Et coupent l'eau, qui roule en perles sur leur aile ? Est-ce un djinn qui là-haut siffle d'une voix grêle, Et jette dans la mer les créneaux de la tour ? Qui trouble ainsi les flots près du sérail des femmes ? - Ni le noir cormoran, sur la vague bercé, Ni les pierres du mur, ni le bruit cadencé Du lourd vaisseau, rampant sur l'onde avec des rames. Ce sont des sacs pesants, d'où partent des sanglots. On verrait, en sondant la mer qui les promène, Se mouvoir dans leurs flancs comme une forme humaine... - La lune était sereine et jouait sur les flots.
Moonlight
The moon was playing on the waves, serene… The window to the breeze at last rides free: The Sultan’s queen looks out. The breaking sea Decks the dark islets with a silver sheen. Her hand lets fall the resonant guitar. She hears dull echoes and a leaden sound… Is it a bark from Cos, which inward-bound Plies the Greek-studded seas with Asian oar? Is it the cormorants, that dive, and cleave The flood that rolls in pearls across their wing? Is it a Djinn, with eldritch yammering Hurling down crenellations on the wave? What stirs the sea beneath the secret halls Of odalisques? Not stones from crumbling walls, Not the black cormorant that water lulls, Not rhythmic plash of oars of heavy hulls: But heavy sacks, and sobbings heard within. Plumbing the depths that take them by the arm, You’d sense the movement of a human form. The moon was playing on the waves, serene.

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In a Ruined Abbey

DANS LES RUINES D’UNE ABBAYE

Victor Hugo (1802-85)

DANS LES RUINES D’UNE ABBAYE
Seuls tous deux, ravis, chantants ! Comme on s’aime ! Comme on cueille le printemps Que Dieu sème ! Quels rires étincelants Dans ces ombres Pleines jadis de fronts blancs, De cœurs sombres ! On est tout frais mariés. On s’envoie Les charmants cris variés De la joie. Purs ébats mêlés au vent Qui frissonne ! Gaîtés que le noir couvent Assaisonne ! On effeuille des jasmins Sur la pierre Où l’abbesse joint ses mains En prière. Les tombeaux, de croix marqués, Font partie De ces jeux, un peu piqués Par l’ortie. On se cherche, on se poursuit, On sent croître Ton aube, amour, dans la nuit Du vieux cloître. On s’en va se becquetant, On s’adore, On s’embrasse à chaque instant, Puis encore, Sous les piliers, les arceaux, Et les marbres. C’est l’histoire des oiseaux Dans les arbres.
In a Ruined Abbey
Just we two, and we sing! Joy of love! He sowed, we reap the spring, God above! Shades here so tenebrous: laughter peals! Paled here so many brows, sombre souls! Here we are, new-married: We let fly charming cries, all varied: ecstasy! Pure frolics in breezes that shiver! The dark convent seasons our pleasure! Abbess’s two hands join in stone prayer: we pluck the white jasmine twining there. Marked with a cross, the tombs take their part in our innocent games: nettles smart! Hide and seek: and we sense love brings light to the old cloister, dawns in its night. I kiss you, you kiss me, we adore, clasping insistently, and there’s more, Pillars and arching curves, effigies. It’s the tale of the birds in the trees.

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The poet

Le poète

Victor Hugo (1802-85)

Le poète
"Le poète en des jours impies Vient préparer des jours meilleurs, Il est l’homme des utopies, Les pieds ici, les yeux ailleurs."
The poet
The poet comes in reprobate times, to prepare for better days. He is the man utopiate: his feet are here, but not his gaze.
Les Rayons et les Ombres, Préface, 1840 From the Preface to: ‘Sunbeams and Shadows’

Translation: Copyright © Timothy Adès

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From: Life Outdoors

de ‘La vie aux champs’

Victor Hugo (1802-85)

de ‘La vie aux champs’
Dès que je suis assis, les voilà tous qui viennent. C'est qu'ils savent que j'ai leurs goûts; ils se souviennent Que j'aime comme eux l'air, les fleurs, les papillons Et les bêtes qu'on voit courir dans les sillons. Ils savent que je suis un homme qui les aime, Un être auprès duquel on peut jouer, et même Crier, faire du bruit, parler à haute voix; Que je riais comme eux et plus qu'eux autrefois, Et qu'aujourd'hui, sitôt qu'à leurs ébats j'assiste, Je leur souris encor, bien que je sois plus triste ; Ils disent, doux amis, que je ne sais jamais Me fâcher ; qu'on s'amuse avec moi ; que je fais Des choses en carton, des dessins à la plume ; Que je raconte, à l'heure où la lampe s'allume, Oh! des contes charmants qui vous font peur la nuit ; Et qu'enfin je suis doux, pas fier et fort instruit. Aussi, dès qu'on m'a vu : «Le voilà !» tous accourent. Ils quittent jeux, cerceaux et balles; ils m'entourent Avec leurs beaux grands yeux d'enfants,sans peur,sans fiel, Qui semblent toujours bleus, tant on y voit le ciel ! Les petits -- quand on est petit, on est très-brave -- Grimpent sur mes genoux; les grands ont un air grave ; Ils m'apportent des nids de merles qu'ils ont pris, Des albums, des crayons qui viennent de Paris ;…
From: Life Outdoors
I sit, and they come – they know I share Their taste for butterflies, flowers, fresh air And animals scurrying everywhere. They know I’m a person who’s fond of them, They can play near me, shout and scream, And ages ago I laughed the same: And I laugh and I smile at them today, Though I’m sadder now, as I watch them play. I’m always fun and I’m never fractious, Make cardboard models and pen-and-ink sketches: They say so: and when we light the light, I tell them stories that scare them at night: I’m gentle and modest, and erudite. They see me, and ‘Look! He’s there!’ – they’ve downed Their toys, they run to me, they surround! Wide eyes, so fearless and friendly too: Such heavenly eyes, they must be blue! Little ones climb on my knees, they’re bold; Big ones look solemn, being so old. They bring me a borrowed blackbird’s nest, With scrapbooks and crayons, France’s best…
Online in The High Window French Translation Supplement, 2022

Translation: Copyright © Timothy Adès

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The Ladybird

La coccinelle

Victor Hugo (1802-85)

La coccinelle
Elle me dit : Quelque chose Me tourmente. Et j'aperçus Son cou de neige, et, dessus, Un petit insecte rose.   J'aurais dû - mais, sage ou fou, A seize ans on est farouche, Voir le baiser sur sa bouche Plus que l'insecte à son cou.   On eût dit un coquillage ; Dos rose et taché de noir. Les fauvettes pour nous voir Se penchaient dans le feuillage.   Sa bouche franche était là : Je me courbai sur la belle, Et je pris la coccinelle ; Mais le baiser s'envola.   - Fils, apprends comme on me nomme, Dit l'insecte du ciel bleu, Les bêtes sont au bon Dieu, Mais la bêtise est à l'homme.
The Ladybird
She told me ‘Something’s tickling’, and I checked, looked at her snowy neck, and on it saw a little pink insect...     ...and not - but at sixteen one’s what-the-heck naughty or nice - the kiss upon her lips: just the bug on her neck.     You’d say, from this pink back, spotted with black, a shellfish… Warblers in the foliage were craning for a look.     Her mouth, so free! I hovered by the fay, bent to her beauty, took the ladybird: but the kiss flew away.   ‘Look at my name: we darling beasts are holy,’ says the sky-flyer: ‘we are Our Lady’s birds; mankind wreaks beastly folly.’

Translation: Copyright © Timothy Adès

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