ANTONY AND CLEOPATRA
Antoine et Cléopâtre
José-Maria de Hérédia (1842-1905)
Antoine et Cléopâtre
Tous deux ils regardaient, de la haute terrasse,
L'Égypte s'endormir sous un ciel étouffant
Et le Fleuve, à travers le Delta noir qu'il fend,
Vers Bubaste ou Saïs rouler son onde grasse.
Et le Romain sentait sous la lourde cuirasse,
Soldat captif berçant le sommeil d'un enfant,
Ployer et défaillir sur son coeur triomphant
Le corps voluptueux que son étreinte embrasse.
Tournant sa tête pâle entre ses cheveux bruns
Vers celui qu'enivraient d'invincibles parfums,
Elle tendit sa bouche et ses prunelles claires ;
Et sur elle courbé, l'ardent Imperator
Vit dans ses larges yeux étoilés de points d'or
Toute une mer immense où fuyaient des galères.
ANTONY AND CLEOPATRA
Together from the terrace they could see
Egypt bed down beneath a sultry sky;
through the black delta, fatly, massively,
to Saïs or Bubastis, Nile rolled by.
A captured soldier, like a sleeping child
the Roman held that lovely form, and felt,
through his thick breastplate, the enchantress melt
on his triumphant heart, and, pliant, yield.
Turning her pale head that the brown hair framed,
she offered lips and bright eyes to the one
unconquerable fragrances enflamed:
hunched over her, the ardent prince discerned,
in those great eyes where golden star-points burned,
a whole wide sea, and warships on the run.
Translation: Copyright © Timothy Adès
More poems by José-Maria de Hérédia...
The Coral Reef
Le récif de corail
José-Maria de Hérédia (1842-1905)
Le récif de corail
Le soleil sous la mer, mystérieuse aurore,
Éclaire la forêt des coraux abyssins
Qui mêle, aux profondeurs de ses tièdes bassins,
La bête épanouie et la vivante flore.
Et tout ce que le sel ou l'iode colore,
Mousse, algue chevelue, anémones, oursins,
Couvre de pourpre sombre, en somptueux dessins,
Le fond vermiculé du pâle madrépore.
De sa splendide écaille éteignant les émaux,
Un grand poisson navigue à travers les rameaux ;
Dans l'ombre transparente indolemment il rôde ;
Et, brusquement, d'un coup de sa nageoire en feu
Il fait, par le cristal morne, immobile et bleu,
Courir un frisson d'or, de nacre et d'émeraude.
The Coral Reef
Sun under sea, the mysterious aurora,
lights up abysses and forests of corals
mingling in depths of their warm-water basins
creatures resplendent, ebullient flora.
All that the salt or the iodine colours,
moss, hairy seaweed, anemones, urchins,
covers, in sumptuous designs of deep purple,
beds of the madrepore’s worm-patterned pallor.
Quenching his scales that are fiery enamels
comes a big fish moving clean through the branches,
lazily browses in shady transparence:
suddenly whisking his fin pyrotechnic,
makes the blue motionless lack-lustre crystal
thrill to the pearl-gleam, the gold, the smaragdine.
Translation: Copyright © Timothy Adès
More poems by José-Maria de Hérédia...
Sailor's Wind
Brise Marine
Stéphane Mallarmé (1842-98)
Brise Marine
La chair est triste, hélas! et j’ai lu tous les livres,
Fuir! là-bas fuir! Je sens que des oiseaux sont ivres
D’être parmi l’écume inconnue et les cieux!
Rien, ni les vieux jardins reflétés par les yeux
Ne retiendra ce coeur qui dans la mer se trempe
O nuits! ni la clarté déserte de ma lampe
Sur le vide papier que la blancheur défend
Et ni la jeune femme allaitant son’enfant.
Je partirai! Steamer balançant ta mâture,
Lève l’ancre pour une exotique nature!
Un Ennui, désolé par les cruels espoirs,
Croit encore à l’adieu suprême des mouchoirs!
Et, peut-être, les mâts, invitant les orages
Sont-ils de ceux qu’un vent penche sur les naufrages
Perdus, sans mâts, sans mâts, ni fertiles ilôts …
Mais, ô mon coeur, entends le chant des matelots!
Sailor's Wind
Limbs flag and fail; j’ai lu all books of words.
To fly away! I think of soaring birds
In sky unknown, and spray, mad-drunk with flight.
No arbours, mirror’d back from orbs of sight,
Can stay my soul from plunging totally,
O nights! nor lamplight’s arid clarity
On my blank writing-pad’s forbidding wall;
Nor a young woman with a sucking doll.
I go! You throbbing ship with masts that sway,
Up anchor, and to magick lands away!
Vain longings haunt us; harsh monotony
Still trusts in waving chiffon’s last goodby;
And masts that summon storms may soon bow down
To roaring winds, by ruin’d hulks that drown,
Lost, with no masts, nor islands blossoming …
But hark, my soul! What songs our sailors sing!
Translation: Copyright © Timothy Adès
More poems by Stéphane Mallarmé...
Épiphanie
Epiphany
José-Maria de Hérédia (1842-1905)
Epiphany
Donc, Balthazar, Melchior et Gaspar, les Rois Mages,
Chargés de nefs d’argent, de vermeil et d’émaux
Et suivis d’un très long cortège de chameaux,
S’avancent, tels qu’ils sont dans les vieilles images.
De l’Orient, lointain, ils portent leurs hommages
Aux pieds du fils de Dieu, nés pour guérir les maux
Que souffrent ici-bas l’homme et les animaux ;
Un page noir soutient leurs robes à ramages.
Sur le seuil de l’étable où veille saint Joseph,
Ils ôtent humblement la couronne du chef
Pour saluer l’Enfant qui rit et les admire.
C’est ainsi qu’autrefois, sous Auguste César,
Sont venus, présentant l’or, l’encens et la myrrhe,
Les Rois Mages Gaspar, Melchior et Balthazar.
Épiphanie
Balthazar, Melchior, Gaspar, the Three Kings,
Loaded with silver, scarlets and enamels,
And followed by a long parade of camels,
Draw near, as in great art’s imaginings.
From eastern lands afar the trio brings
Homage to God’s Son, born to heal all ills
Endured on earth by men and animals…
Intricate robes! held high by underlings.
St Joseph keeps his vigil at the byre:
They humbly doff their crowns, their heads are bare,
They greet the laughing and admiring Child.
So, when in times long past Augustus ruled,
There came with myrrh and frankincense and gold
Three Kings called Gaspar, Melchior, Balthazar.
Translation: Copyright © Timothy Adès
More poems by José-Maria de Hérédia...
The Slave
L’ESCLAVE
José-Maria de Hérédia (1842-1905)
L’ESCLAVE
Tel, nu, sordide, affreux, nourri des plus vils mets,
Esclave, - vois, mon corps en a gardé les signes, -
Je suis né libre au fond du golfe aux belles lignes
Où l'Hybla plein de miel mire ses bleus sommets.
J'ai quitté l'île heureuse, hélas! ... Ah! si jamais
Vers Syracuse et les abeilles et les vignes
Tu retournes, suivant le vol vernal des cygnes,
Cher hôte, informe-toi de celle que j'aimais.
Reverrai-je ses yeux de sombre violette,
Si purs, sourire au ciel natal qui s'y reflète
Sous l'arc victorieux que tend un sourcil noir?
Sois pitoyable! Pars, va, cherche Cléariste
Et dis-lui que je vis encor pour la revoir.
Tu la reconnaîtras, car elle est toujours triste.
The Slave
I, naked, squalid, loathsome, vilely fed,
A slave - see how this flesh still bears the signs -
Was free-born on that bay of noble lines
Where honeyed Hybla preens her purple head.
I left the happy isle! If ever, sir,
Chasing the swans on their spring odysseys,
You come to Syracuse, her vines and bees,
Pray you, take note of her who was my dear.
O shall I see those pure and violet eyes
Reflect, and smile upon, their native skies,
’Neath the black eyebrows’ arch of victory?
For pity’s sake, go tell Clearetê
I live to see her. You will recognize
My darling by her endless misery.
Translation: Copyright © Timothy Adès
More poems by José-Maria de Hérédia...
The Stranger
L’Étranger
René François Armand Sully-Prudhomme (1839-1907)
L’Étranger
Je me dis bien souvent : de quelle race es-tu ?
Ton coeur ne trouve rien qui l'enchaîne ou ravisse,
Ta pensée et tes sens, rien qui les assouvisse :
Il semble qu'un bonheur infini te soit dû.
Pourtant, quel paradis as-tu jamais perdu ?
A quelle auguste cause as-tu rendu service ?
Pour ne voir ici-bas que laideur et que vice,
Quelle est ta beauté propre et ta propre vertu ?
A mes vagues regrets d'un ciel que j'imagine,
A mes dégoûts divins, il faut une origine :
Vainement je la cherche en mon coeur de limon ;
Et, moi-même étonné des douleurs que j'exprime,
J'écoute en moi pleurer un étranger sublime
Qui m'a toujours caché sa patrie et son nom.
The Stranger
I often ask myself: What breed are you?
Your heart remains unravished, unenslaved;
There’s nothing that your thoughts and senses craved;
Eternal happiness must be your due.
And yet, what paradise did you forego?
What worthy cause have you done service to?
Confined to vice and squalor here below,
What’s your own beauty and your own virtue?
My longing for some heaven, my divine
Uneasiness, must have some origin;
I seek it vainly in my turbid heart.
Amazed at my pathetic litany,
I hear a noble stranger weep in me,
Who won’t his country, or his name, impart.
Translation: Copyright © Timothy Adès
More poems by René François Armand Sully-Prudhomme...
The Secret
Le Secret
Armand Silvestre (1837-1901)
Le Secret
Je veux que le matin l'ignore
Le nom que j'ai dit à la nuit,
Et qu'au vent de l'aube, sans bruit,
Comme une larme il s'évapore.
Je veux que le jour le proclame
L'amour qu'au matin j'ai caché,
Et, sur mon coeur ouvert penché,
Comme un grain d'encens il l'enflamme.
Je veux que le couchant l'oublie
Le secret que j'ai dit au jour,
Et l'emporte, avec mon amour,
Aux plis de sa robe pâlie!
The Secret
O may the morn never know it,
the name that I spoke to the night:
may it vanish mute as a tear-drop
on the breeze of the early light.
O may the noonday proclaim it,
the love that I hid from the morn:
may it light on my heart, laid open;
may my heart like an incense burn.
O may dusk forget my secret,
forget what I told to the day:
in its robe’s pale folds may it carry
my love and my secret away.
Translation: Copyright © Timothy Adès
More poems by Armand Silvestre...
Testament
Set to music by Duparc.
Armand Silvestre (1837-1901)
Set to music by Duparc.
Pour que le vent te les apporte
Sur l’aile noire d’un remord,
J’écrirai sur la feuille morte
Les tortures de mon coeur mort!
Toute ma sève s’est tarie
Aux clairs midis de ta beauté,
Et, comme à la feuille flétrie,
Rien de vivant ne m’est resté
Tes yeux m’ont brulé jusqu’à l’âme,
Comme des soleils sans merci!
Feuille que le gouffre réclame,
L’autan va m’emporter aussi ...
Mais avant, pour qu’il te les porte
Sur l’aile noire d’un remord,
J’écrirai sur la feuille morte
Les tortures de mon coeur mort!
Testament
For the wind to bring you
On remorse’s black wing,
On the dead leaf I’ll write
My dead heart’s suffering.
My sap is all withered
In your beauty’s bright noon:
Like the leaf that is faded
My life is all gone.
Cruel suns are your eyes,
To my soul I am burned:
A leaf to the chasm,
Borne off by south wind.
This, first, it shall bring you
On remorse’s black wing:
On the dead leaf I’ll write
My dead heart’s suffering.
Translation: Copyright © Timothy Adès
More poems by Armand Silvestre...
Poème d’amour
Love Poem
Armand Silvestre (1837-1901)
Love Poem
Je veux que mon sang goutte à goutte
Monte à ta lèvre lentement.
1
Comme un flot limpide et calmant,
De ton cœur il prendra la route.
Bois-le : mon âme y sera toute
Dans un suprême enivrement :
Car le seul mal que je redoute,
C’est de survivre à mon tourment.
2
Bois-le sans honte et sans peurs vaines :
Ce trésor sacré de mes veines,
Toi seule pourras le tarir.
3
Avec mon souffle, avec mon âme,
4
Ce sang que ta bouche réclame,
Bois-le ! – Car j’ai soif de mourir !
Poème d’amour
Drop by drop my blood must drip,
Climbing slowly to your lip,
Like a calm and limpid wave,
To your heart: no less, I crave.
Drink it: all my soul shall be
In the height of ecstasy.
My one dread, one injury:
To survive my agony.
Feel no shame: all fears are vain:
These my vessels you shall drain:
Yours, my sacred treasury.
Drink my soul and drink my breath,
Drink my blood, assuage your mouth.
Drink it! For I thirst to die!
Translation: Copyright © Timothy Adès
More poems by Armand Silvestre...
Let's watch, as on the silver lake
Allons voir sur le lac d'argent
Armand Silvestre (1837-1901)
Allons voir sur le lac d'argent
ENSEMBLE
Allons voir sur le lac d’argent
Descendre la lune endormie.
LUI
Le miroir des eaux est changeant
Moins que votre âme, mon amie.
ELLE
Rayon de lune est moins furtif
Que peine d’amant n’est légère.
LUI
Ainsi mon chant doux et plaintif
Ne te saurait toucher, bergère ?
ELLE
Amour d’homme est trop exigeant.
LUI
Pitié de femme est toujours brève.
ENSEMBLE
Allons voir sur le lac d’argent
Descendre la lune en son rêve.
Let's watch, as on the silver lake
BOTH
Let’s watch, as on the silver lake
The sleeping moon descends.
HE
The mirror of the waters changes
Less than your heart, my love.
SHE
The moonbeam is less furtive
Than lover’s pain is light.
HE
Could my song, soft and plaintive,
Not touch you, shepherdess?
SHE
Man’s love is too demanding.
HE
Brief always, woman’s pity.
BOTH
Let’s watch, as on the silver lake
The dreaming moon descends.
Translation: Copyright © Timothy Adès
More poems by Armand Silvestre...