Luna

Luna (Jersey, le 31 mars 1853)

Victor Hugo (1802-85)

Luna (Jersey, le 31 mars 1853)
Ô France, quoique tu sommeilles, Nous t'appelons, nous les proscrits ! Les ténèbres ont des oreilles, Et les profondeurs ont des cris. Le despotisme âpre et sans gloire Sur les peuples découragés Ferme la grille épaisse et noire Des erreurs et des préjugés ; Il tient sous clef l'essaim fidèle Des fermes penseurs, des héros, Mais l'Idée avec un coup d'aile Ecartera les durs barreaux, Et, comme en l'an quatre-vingt-onze, Reprendra son vol souverain ; Car briser la cage de bronze, C'est facile à l'oiseau d'airain. L'obscurité couvre le monde, Mais l'Idée illumine et luit ; De sa clarté blanche elle inonde Les sombres azurs de la nuit. Elle est le fanal solitaire, Le rayon providentiel. Elle est la lampe de la terre Qui ne peut s'allumer qu'au ciel. Elle apaise l'âme qui souffre, Guide la vie, endort la mort ; Elle montre aux méchants le gouffre, Elle montre aux justes le port. En voyant dans la brume obscure L'Idée, amour des tristes yeux, Monter calme, sereine et pure, Sur l'horizon mystérieux, Les fanatismes et les haines Rugissent devant chaque seuil, Comme hurlent les chiens obscènes Quand apparaît la lune en deuil. Oh ! contemplez l'Idée altière, Nations ! son front surhumain A, dès à présent, la lumière Qui vous éclairera demain !
Luna
O France, though you are lulled in sleep, Hear us, the banished! hear our call! The shades have ears to hear; the deep Has cries to voice, has tears to weep. Harsh tyranny inglorious Oppresses and discourages, Holds us behind the thick black bars Of error and of prejudice, Holds heroes under lock and key, The faithful band of steadfast hearts. But Thought’s bright wing shall presently Smash the hard prison-bars apart, And as in ’91, again In soaring flight shall all surpass! To break the bars of bronze in twain Is easy for the bird of brass. The world is all obscurity; But Thought illumines, throws a light, Flooding with limpid clarity The sombre shadows of the night. Thought is the lonely beacon-light, Thought is the providential ray, Only in heaven flaring bright, The lamp of earth till dawn of day. Thought soothes the soul’s unhappiness, Life’s guiding star, that shuts death’s eyes, Showing the wicked the abyss, Showing the good where safety lies. When Thought looms up in mists obscure, For grieving eyes a vision fond, And rises, calm, serene and pure In the mysterious beyond, Delusions, hatreds, zealotries At every threshold roar and wail, As loathsome dogs howl obloquies, Bay at the moon’s funereal veil. Nations! Take heed of lofty Thought, Whose superhuman brow displays, Already, that refulgent light, The light to guide you, all your days.

Translation: Copyright © Timothy Adès

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